Big brother is watching you…
1984 (G.Orwell)
Ce qui n’était qu’une sombre fiction dans le roman prophétique d’Orwell, est en train de se mettre en place sous nos yeux. Certes nous ne sommes pas encore en Chine, où le moindre des déplacements peut être repéré, où les données personnelles n’ont plus de secret pour les services de l’Etat, où les logiciels de reconnaissance faciale font partie du quotidien. Mais nous avançons à bas bruit sur la route de cette terrifiante modernité.
La mise en place des caméras de surveillance s’est faite à Roanne progressivement. Comme dans beaucoup d’autres villes, la majorité municipale a justifié ce choix en parlant de sécurité, de délinquance, et de technologie. Très économe, voire pingre, dans d’autres domaines, la mairie a opté pour ces coûteux investissements alors que, nous y reviendrons, aucune étude scientifique sérieuse n’a prouvé la pertinence de ces systèmes.
Le lobby de ces entreprises de surveillance étant très activement soutenu par l’état et par les campagnes idéologiques sécuritaires menées par les médias de droite ou d’extrême-droite, de nombreuses communautés urbaines dont Roanne, s’engagent maintenant dans l’étape suivante, la vidéosurveillance algorithmique. À Roanne cela se concrétise par l’utilisation du logiciel Briefcam, conçu par l’entreprise du même nom, un des leaders mondiaux du secteur.
Comme le montre la vidéo que nous avons mise en ligne, les questions des élus du Collectif 88% au conseil municipal ont mis en évidence l’opacité qui préside à ces choix et surtout la manière dont les élus de la majorité se contredisent quant à l’utilisation de ces logiciels pourtant (encore…!) très strictement encadrée par la loi.
La Cour des comptes, la CNIL ont multiplié les mises en garde, de nombreuses associations nationales (LDH, Quadrature du Net) et locales ont souligné les graves atteintes à la liberté individuelle qu’entraîne l’utilisation de ces logiciels. Mais cela n’arrête pas nos ardents défenseurs de la « techno-sécurité ». Leur objectif est, comme d’habitude, d’éviter tout débat public, de ne distiller les informations qu’au compte-goutte et en fin de compte, de mettre les citoyennes et les citoyens de Roanne devant le fait accompli, une fois l’installation réalisée.
Le but de cet article est de fournir des renseignements les plus complets possibles pour permettre à toutes et tous de juger du dossier, avec en annexe des liens qui pourront permettre d’approfondir encore la recherche.
1) La vidéo surveillance à Roanne
Lancée le vendredi 10 juillet 2015 la vidéo surveillance à Roanne comptait alors soixante-deux caméras reliées au Centre de Surveillance Urbain (CSU) ; Comme l’explique l’article de Max Chapuis dans le Progrès du lendemain : « La Ville de Roanne n’a pas encore communiqué, officiellement, sur le sujet. » Transparence, transparence quand tu nous tiens!
Dans un article publié sur France 3 Auvergne Rhône-Alpes (1), Marie Bail fait un état des lieux de la vidéo-surveillance à Roanne le 6 février 2024, neuf ans plus tard. Ce sont à cette date 350 caméras qui sont installées à Roanne, soit une caméra pour 98 habitants… « Autant de caméras à Roanne qu’à St Étienne qui compte cinq fois plus d’habitants. » Droit dans ses bottes, Yves Nicolin assume avec un grand classique: “l’une des demandes de nos concitoyens c’est la sécurité et la tranquillité, ces caméras nous permettent de retrouver des auteurs de faits délictueux et cela permet de dissuader même si cela ne règle pas tout.” La journaliste continue en donnant une information financière intéressante : « Ces caméras ont coûté quatre millions d’euros depuis 2014 sur un budget annuel d’environ 70 millions selon l’élu local. »
Le problème avec les chiffres, c’est que passé un certain ordre de grandeur qui nous est familier, ils deviennent presque abstraits. Pour se faire une idée, rien de mieux que des comparaisons. Le salaire brut d’un policier municipal à l’échelon trois est d’approximativement 1880 €. Son salaire annuel brut, s’il y a un treizième mois ou des primes, tourne autour de 25 000 €. Si le système de vidéo-surveillance a coûté 4 millions d’euros en 10 ans (et l’on ne parle là sûrement que du coût de l’installation, pas du fonctionnement), cela veut dire que sur la même période, on aurait pu embaucher avec la même somme, 16 agents de police de proximité.
Une police humaine, désamorçant les conflits, faisant de la prévention sur le terrain ou une police déshumanisée, froidement technologique, dans un bunker blindé d’écrans espions… Pour Yves Nicolin et son équipe, le choix est clair : l’avenir de Roanne ce sera Loft Story !
2) Preuves de l’efficacité de la vidéosurveillance et encadrement juridique ?
« Toutes les études, y compris internationales, s’accordent sur le fait que la vidéosurveillance ne dissuade pas. A la limite, elle peut provoquer un déplacement de la délinquance, non sur le plan géographique mais sur celui de la méthode : les délinquants peuvent s’adapter à cette menace potentielle mais ils ne seront jamais dissuadés par la seule présence de caméras, c’est un fantasme que l’on peut balayer ». Ces propos tenus par Guillaume Gormand, chercheur et auteur d’une thèse en 2017 sur l’évaluation de la vidéosurveillance au sein des politiques publiques donnent le ton.
Dans un rapport d’octobre 2020, la Cour des comptes émet de nombreuses réserves quant à l’utilisation de la vidéo surveillance.
Ces réserves touchent au financement de ces systèmes, dans un premier temps, car comme nous l’avons vu, ils sont très onéreux. Comme tous les investissements importants décidés par une collectivité, leur pertinence doit être jugée au regard de leur capacité à remplir les missions pour lesquelles ils ont été souscrits. C’est, semble-t-il, loin d’être le cas en ce qui concerne la vidéosurveillance.
Le rapport de la Cour des comptes indique : « Au vu des constats locaux résultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Dire que ces caméras, ce CSU, ne servent à rien serait sans doute exagéré, mais dire que le coût est démentiel par rapport à l’efficacité et que la rentabilité de l’investissement est très faible, semble par contre très raisonnable.
La Cour des comptes soulève également un autre problème : « Le vide juridique qui caractérise l’emploi des nouvelles technologies est, par ailleurs, préoccupant et doit être comblé. Or, comme l’ont montré les dispositifs de surveillance mis en place lors du confinement du printemps 2020, ce vide juridique conduit à des usages non encadrés de moyens techniques dont les forces – tant nationales que municipales – ont fait l’acquisition et dont elles comptent bien se servir. Il importe désormais de le combler en faisant leur juste part à l’innovation et à la protection des droits fondamentaux. »
La Cour des comptes, qui n’est pourtant pas un repère de gauchistes, partage sur cette question, les inquiétudes que nous avons exprimées plusieurs fois en conseil municipal, sans avoir de réponses véritablement satisfaisantes de la part d’Yves Nicolin et de son équipe.
Une évaluation nécessaire mais ….. très difficile
« Cependant, la recommandation de la Cour demeure d’actualité. L’ampleur des sommes engagées depuis plus de dix ans impose en effet une appréciation objective de l’efficacité de la vidéoprotection. Le fait que le sujet soit sensible justifie d’autant plus un traitement scientifique transparent fondé sur des données statistiques partagées. »
Cette évaluation réclamée dans ce rapport déjà cité, et qui paraît être de bon sens, rencontre un peu partout des résistances. Dans une très intéressante interview,(3) le chercheur, enseignant à Sciences PO Grenoble, Guillaume Gormand, explique : « Trop peu d’acteurs municipaux souhaitent se prêter au jeu de l’évaluation. Critiquer la vidéosurveillance, c’est parfois être classé comme anti-sécurité, ou anti-flic, c’est s’attaquer à une religion. C’est difficile de se battre contre ces approches. »
Pourtant comme il le note : « L’évaluation peut devenir un outil pour avoir une approche rationnelle de ce sujet, souvent enlisé dans des débats idéologiques. » La justification de ces grosses dépenses étant toujours les mêmes (lutte contre la délinquance, aide à l’élucidation des enquêtes, sentiment d’insécurité de la population), les élus qui ont fait ces choix, n’ont aucune envie de voir établir la preuve qu’ils se sont trompés quant à l’efficacité de ces systèmes.
Guillaume Gormand a évalué des systèmes de vidéo surveillance de la région de Grenoble avec le concours de la gendarmerie nationale de l’Isère. Le bilan est un peu maigre ! Sur 1939 cas étudiés, 22 enquêtes ont été élucidées avec l’utilisation des images, soit 1,1 % des cas. Il y a peu de chances que les choses soient différentes à Roanne. Alors qu’il est toujours compliqué de retrouver des voleurs de bicyclette (si il ou elle ne connaît pas exactement l’heure du vol, on répond aux plaignant.e.s qu’il serait trop long de visionner des heures de rushs vidéo), assez bizarrement on retrouve facilement des militantes féministes qui collent des affiches pour défendre les droits des femmes : mystères de la technologie…
Le Collectif 88% a fait la demande officielle d’une étude indépendante sur Roanne. Bien qu’à cette occasion Yves Nicolin se soit déclaré oralement favorable à une étude, cela n’a à notre connaissance jamais abouti à une candidature de la ville auprès du Centre de recherche de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale, telle que nous l’avions demandée.
.
Toujours plus…
La tentation des élus pro cyber-sécurité face aux résultats décevants mis en évidence par ce type d’enquête de terrain, est toujours la même. Si ça ne fonctionne pas, c’est… qu’il n’y a pas assez de caméras, ou qu’elles ne sont pas assez performantes. C’est la voie qui a été choisie à Roanne, développer le système, le moderniser. À cela Guillaume Gormand répond : « Dans l’absolu, c’est pertinent. Une densité de caméra importante a plus de probabilité de capter des infractions dans ses enregistrements. Mais il faut adopter un discours réaliste. Il faudrait infiniment de caméras, avec une infrastructure conséquente, des investissements inimaginables. La vidéosurveillance, ce n’est pas seulement l’objet caméra. C’est aussi le réseau nécessaire pour ramener le flux d’images, les serveurs pour les stocker et les exploiter, le maintien en condition opérationnelle et le remplacement du matériel après obsolescence. »
Il faut rappeler par ailleurs, que l’immense majorité des actes de violences, notamment les viols et féminicides se produisent dans l’intimité du cadre familial, ou au moins à l’intérieur d’un cercle de gens qui se connaissent, c’est à dire à l’abri des possibilités d’investigation de la vidéosurveillance.
La conclusion s’impose d’elle-même : la cyber-sécurité relève d’un discours idéologique sécuritaire. À la manière d’un placebo, elle calme peut-être quelques angoisses, à coup sûr elle remplit les poches de quelques entreprises du secteur, mais dans la réalité, les études sur le sujet tendent à démontrer sa très médiocre efficacité.
3) La vidéosurveillance algorithmique
Ces évidences, accessibles à toutes et tous, ne font pas vaciller Yves Nicolin et sa majorité municipale dans leurs convictions. Les caméras, ça ne donne pas les résultats escomptés, alors mettons plus de caméras. Plus de caméras, ça n’est pas encore satisfaisant, alors achetons des logiciels de traitement algorithmique.
Briefcam à Roanne
Qu’est-ce que la vidéo-surveillance algorithmique ? Selon la CNIL, la « vidéo augmentée désigne ici des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique, en temps réel et en continu, des images captées par la caméra. »
Comme ces entreprises s’y connaissent en communication, on qualifie cette nouvelle évolution de la cyber-surveillance d’ « intelligente» ou d’ « augmentée », alors qu’elle n’est qu’automatisée. La ville de Roanne a choisi Briefcam. La vidéo de démonstration de ce logiciel, accessible sur Youtube (https://youtu.be/UOF-dBw4VxQ), est révélatrice. L’exemple choisi pour la délinquance sur la voie publique, ce sont les vélos qui roulent sur les trottoirs. Ces inconscient.e.s sont, c’est bien connu, les principaux responsables de la mortalité routière… L’autre utilisation mise en exergue, c’est la capacité du logiciel à analyser les comportements des consommateurs dans les magasins, afin que les commerçants puissent développer des stratégies pour les faire acheter plus. Sans commentaire…
Pour parler simple donc, il s’agit d’ajouter à la capture d’images, un traitement informatique qui permet en temps réel ou différé, d’analyser des comportements et de signaler ceux qui sont suspects ou délictuels. Et c’est là, déjà, que le bât blesse.
Des machines plus obéissantes qu’intelligentes
Les machines n’étant que des machines, il faut bien que quelqu’un leur apprenne ce que sont des comportements suspects ou délictuels. Ce sont des cerveaux humains, avec une conception du monde précise, qui vont entraîner ces machines à faire le tri entre ce qui est normal et anormal. Et c’est à ce moment-là que peuvent s’inscrire dans le fonctionnement de ces ordinateurs, des attitudes discriminatoires. Normal ou anormal, deux mots qui n’ont à l’évidence pas le même sens pour Marine Le Pen ou Mathilde Panot, pour Pascal Praud ou Guillaume Meurice, pour prendre des exemples parlants ! Il n’est pas très difficile d’imaginer de quel côté penche l’idéologie d’une entreprise de sécurité qui veut flatter ses clients dans le sens du poil…
Un très intéressant rapport d’Amnesty International (4) soulève toute une série de questions. Est-ce qu’une personne handicapée ayant une manière de se déplacer différente de la majorité des gens, sera « suspecte » ? La Quadrature du net signale dans un article publié sur son site (5) le 23 mars 2022 : Si le « maraudage, c’est-à-dire le fait de rester statique plus de 300 secondes, alerte les forces de l’ordre » alors ne faut-il pas craindre, que les classes populaires qui statistiquement passent plus de temps dans la rue que les couches aisées de la population, soient particulièrement dans le viseur ? Et sans parler bien sûr des personnes qui vivent à temps plein dans la rue.
Par ailleurs, ces logiciels sont programmables très facilement comme le montre la vidéo de démonstration et l’on peut leur demander de repérer ce que l’on veut : tel type d’individu, tel type de comportement, tel type de regroupement. Quelqu’un qui joue de la musique dans la rue va-t-il devenir suspect ? Des amis qui se rassemblent, des gamins qui jouent au ballon sur un parking ? Cela peut faire sourire, mais quand l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, cela devrait plutôt nous alerter sérieusement.
Au-delà des aspects liberticides, l’article de la Quadrature du net cité plus haut met en évidence la nécessité pour le fonctionnement de ces systèmes de centres de stockage des données, très énergivores et de plus en plus importants. On connaît le bilan carbone désastreux de ces « datas-centers ». L’article pointe aussi le fait que dans certaines communes, le coût de ces installations a amené à la suppression ou à la réduction drastique de crédits de fonctionnement de services sociaux, par exemple.
Encadrement juridique de la vidéo-surveillance algorithmique
Sur le site de de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, (6), à la rubrique Briefcam, on apprend que l’utilisation des caméras « augmentées » en direct est « en principe (?) » interdite, sauf pour une utilisation statistique. En revanche l’analyse d’images déjà enregistrées peut être autorisée sous contrôle de l’autorité judiciaire, dans des conditions strictement encadrées par le code de procédure pénale.
Pour compliquer les choses, les fabricants du logiciel Briefcam, pour attirer le client, mettent à disposition des fonctionnalités supplémentaires, même si elles sont interdites par la loi. Il en est ainsi de la reconnaissance faciale. La CNIL qui a constaté un cas d’infraction, demande donc que cette fonctionnalité soit supprimée ou bridée.
Pour la CNIL « trois grands types d’usages peuvent être distingués :
- un usage permettant la détection automatisée de situations laissant présumer une infraction sur le domaine public (stationnement interdit, circulation en contre-sens, etc.) ou d’évènements considérés comme « anormaux » ou potentiellement dangereux (attroupements d’individus, etc.). Ces usages sont en principe interdits en l’état du droit.
- un usage permettant de générer des statistiques, par exemple en mesurant la fréquentation d’une zone en différentiant les usages (piétons, camions, vélos, trottinettes, etc.). Cet usage est autorisé, à condition d’informer suffisamment les usagers, ce qui n’était pas toujours le cas
- une utilisation des fonctionnalités de recherche automatique dans les images pour répondre à des réquisitions judiciaires : cet usage est légal, à condition qu’il soit nécessaire pour répondre correctement à la réquisition et que le système soit suffisamment sécurisé. Il peut en particulier servir à rechercher un numéro de plaque d’immatriculation de véhicule. La CNIL rappelle que les agents de police municipale ne peuvent pas mener eux-mêmes des enquêtes de police judiciaire et ne sont donc pas habilités à opérer de telles recherches de leur propre initiative, en dehors d’une réquisition judiciaire.
Raphaël Plasse, élu du Collectif 88% a posé une demande de clarification à ce sujet lors du Conseil municipal de novembre 2024 « Du coup c’est les personnes qui sont au Centre de Protection qui décident de l’utiliser [Briefcam] c’est ça ? […] Ce n’est pas la justice qui demande ? »
La réponse de Yves Nicolin est la suivante : « Si, les deux …». Là aussi une réponse qui amène un doute légitime sur la légalité des usages faits de ce logiciel à Roanne.
Un autre problème a été soulevé par Raphaël Plasse à propos des alertes automatiques. Ce système permet de demander à la machine de prévenir en temps réel, dès qu’elle détecte des comportements qu’on lui a appris à reconnaître. L’utilisation de ces alertes automatiques est illégale. Dans notre vidéo, (https://youtu.be/-0eX0ei5MiE) on voit qu’Edmond Bourgeon adjoint au maire chargé de la Sécurité, de la tranquillité et de la santé publique, confronté à une question sur ce point précis, se contredit et semble peu connaître précisément la loi… Laquelle croire des deux versions données lors de deux conseils municipaux ? La première qui confirmait l’utilisation (illégale) des alertes automatiques ou le rétro-pédalage un peu honteux qui a suivi ?
On pourrait aussi, si l’on avait mauvais esprit, constater que la municipalité de Roanne si friande de surveillance de ses concitoyens, n’aime pas, à l’inverse, quand des élus veulent exercer leur légitime devoir de surveillance de la gestion municipale. Les élus du Collectif 88% se sont heurtés plusieurs fois à des refus d’accès à des documents qu’ils ont pourtant le droit de consulter. Peut-être va-t-il falloir installer des caméras dans les couloirs de la Mairie… ?
On le voit, malgré l’encadrement juridique, la tentation est forte d’utiliser toutes les fonctionnalités de ces machines si coûteuses. Une manière d’en avoir pour son argent… Un jugement (7) récent du Tribunal administratif de Grenoble, saisi par l’association La Quadature du Net et par un habitant de la ville de Moirans, « a enjoint à la commune de cesser sans délai d’utiliser ce logiciel. ». (logiciel Briefcam, identique à celui utilisé à Roanne).
Ce jugement montre à quel point la vigilance citoyenne sera décisive pour éviter que ces systèmes vidéo ne se multiplient et n’aggravent les remises en cause des libertés fondamentales dans notre pays.
Conclusion
Si on se résume, la vidéo surveillance (algorithmique ou non), c’est ruineux et ça ne fonctionne pas. Alors, pourquoi tant d’obstination ?Et bien sûrement parce que le principal avantage de ces systèmes c’est aussi d’éviter de se poser les bonnes questions à propos de l’insécurité. Ne serait-elle pas d’abord et avant tout une « insécurité sociale » ? Ne faudrait-il pas plutôt investir dans des services publics de qualité (y compris de justice et de police), dans une politique de l’emploi digne de ce nom, plutôt que dans la cyber-sécurité ? Ne faudrait-ii pas d’abord réduire les terribles inégalités sociales, lutter contre les discriminations racistes et sexistes ? Ne vaudrait-il pas mieux mettre tous nos efforts et tous nos moyens financiers pour aller vers une société plus apaisée ?
Pour prendre un exemple qui relève d’un autre domaine mais qui révèle de la même croyance quasi-religieuse dans les nouvelles technologies, le syndicat mixte Établissement public Loire (EPL) qui exploite le barrage a investi 155 000 euros dans l’installation de neuf dispositifs d’ultra-sons positionnés entre St Jean St Maurice et le barrage de Villerest pour lutter contre la prolifération des cyanobactéries qui rendent les eaux du lac impropres à la baignade. (Article du Progrès de Kévin Triet 26 juin 2019)
Le 12 juillet 2024 on apprend par un autre article du Progrès que « la dernière analyse réalisée par l’ARS à la suite d’un prélèvement du 8 juillet conclut à une « eau de bonne qualité pour la baignade sur le plan microbiologique ». L’agence précise toutefois que « la présence de cyanobactéries toxinogènes nécessite une vigilance pour les personnes sensibles ».
Le sytème coûteux mis en place est là encore, d’une efficacité toute relative. On en comprend la raison quand on lit cette analyse publiée par le site de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : « Pour se développer, les cyanobactéries ont besoin de concentrations élevées en phosphore et en azote dont les apports peuvent avoir des origines multiples : effluents d’élevage, compost, boues de station de traitement des eaux usées, engrais épandus sur les sols, rejets d’eaux usées insuffisamment traitées, lessivage des sols lors d’épisodes pluvieux importants. La réduction des apports de phosphore et d’azote dans les eaux de surface reste aujourd’hui la seule façon durable de protéger et/ou de restaurer ces écosystèmes vis-à-vis des proliférations de cyanobactéries planctoniques. »
Les dispositifs d’ultra-sons sont non seulement inefficaces, mais ils sont pervers, car ils peuvent nous faire croire, que sans rien changer à notre agriculture, à la pollution des sols, à la gestion de nos déchets, il y aura toujours une solution technologique.
De la même manière les caméras et les systèmes de vidéosurveillance, paradoxalement, nous rendent aveugles. Ils nous empêchent de voir le seul chemin qui nous permettrait de lutter efficacement contre l’insécurité : celui de l’égalité des droits, de la démocratie et de la justice sociale.
- (2) https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/loire/roanne/securite-roanne-mise-sur-la-videosurveillance-avec-pres-de-400-cameras-dans-l-agglomeration-2919660.html
- (3) https://www.aefinfo.fr/depeche/663759-pour-le-chercheur-guillaume-gormand-critiquer-la-videosurveillance-c-est-s-attaquer-a-une-religion
- (4) www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/pourquoi-la-videosurveillance-algorithmique-pose-probleme-cameras-technologies
- (5) https://www.laquadrature.net (Qu’est-ce que la vidéosurveillance algorithmique ? 23 mars 2022)
- (6) https://www.cnil.fr/fr/utilisation-briefcam-logiciels-analyse-video-par-etat-communes-la-cnil-prononce-plusieurs-mises-en-demeure
- (7) https://grenoble.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/la-mise-en-aeuvre-par-la-commune-de-moirans-du-logiciel-briefcam-censuree-par-le-tribunal
- (8) anses.fr https://www.anses.fr/fr/content/les-cyanobacteries-en-questions